25/09/2009

Prologue. LE FABULEUX DESTIN DE NICOLAS MINUS


Paris, 18 mai 2007


Deux jours après l’investiture de Nicolas Sarkozy



..– Je suis content pour toi, Nicolas.

..– J'te r'mercie, frangin, c'est sympa d’appeler.

..T'as été un peu froid avec Chirac quand même !

..Eh, oh, je l’ai applaudi…

..Tu changeras jamais.

..Tu connais la chanson, Guigui. Le vieux lion est mort… Pas de petit sentiment.

..J’ai un cadeau pour toi, Nicolas. Je te l'aurais bien apporté avant-hier mais tu étais un peu occupé…

..Euh, j’peux pas trop t’parler, là, j’ai un truc sur le feu… Le feu nucléaire… si tu vois c'que j'veux dire !

..Ça tombe bien. Moi aussi c’est du gaullien pur jus… Tu te souviens, le jour de la mort du général ?

..Comment je pourrais oublier ça, enfoiré ! Tu m'intrigues, là… C'est quoi, le truc ?

.."Prise de guerre, Nicolas Minus !" Comment on disait, déjà…

..Euh…

..Mindenhol vagyok !…

..– …

..T'es toujours là, Nicolas ?

..Oh, putain… Tu l'as gardé ? Tu l'as gardé pendant tout ce temps !

..Tu te souviens de notre pari…

..Ben… ouais…

..Chose promise, chose due. Il est temps d'enterrer la hache de guerre, non ? Sans rancune ?

..– Sans rancune… Je…

..Bonne chance, p'tit frère. Tu as gagné. Essaie de ne pas faire trop de conneries, quand même…

..Toujours aussi sympa, toi non plus tu changeras pas !

..J'te connais comme si je t'avais fait, Nicolas Minus. Fais attention à toi, tu as mis les pieds dans un drôle de panier de crabes.

..T‘es vraiment trop chié, Guigui, merde ! Bon. Faut vraiment que j'te laisse, là… Passe me voir à l’Élysée, ça f'ra plaisir…

..D'accord. Je t'apporterai l'icône, tu pourras la mettre sur ton bureau… Je t'embrasse.

..Moi aussi je t’embrasse. Eh… Mindenhol vagyok !

..T'as vraiment un accent à chier, Nicolas ! Salue le général pour moi… quand tu seras dans les étoiles…


***

Le président de la République raccrocha et sur la lancée envoya un SMS à son frère.

AC100 A CHIER MAI LE CHEF NOW C MOI. MOTUS! OUBLIE PAS, MINDENHOL VAGYOK!!!

La réponse lui parvint par retour.

ARRETE NICOLAS MINUS TU ME FAIS PEUR!!!! PROMIS JE SERAI UNE TOMBE. JE TAIME PETIT FRERE. G.

Nicolas Sarkozy éclata de rire, essuya subrepticement la nécessaire larme qui s'annonçait.

..Mais qu'il est con !


..Il répéta plusieurs fois la sentence in petto, tout en consultant avec frénésie quelques SMS de félicitation qui venaient de tomber en rafale. Une voix retentit derrière lui.

..Pardonnez-moi, monsieur le président, mais il faudrait que vous débranchiez votre portable et ôtiez la batterie, s'il vous plaît. Nous devons aller à la salle Jupiter pour le protocole de dissuasion nucléaire. Pour des raisons de confidentialité il est impératif qu'il n’y aie pas d’interférences…

..Le tout nouveau président de la République s'exécuta de mauvaise grâce......A vos ordres, mon général!… J'crois qu'il a pas bien compris qui était le chef, le galonné… Va falloir que ça change, tout ça!" ..Puis il s'engouffra dans l'ascenseur qui le conduisait dans les profondeurs du palais de l'Élysée, juste au-dessous de ses appartements privés.

L’avant-veille, le président Chirac lui avait remis les codes nucléaires, il lui restait à faire connaissance avec le PC Jupiter et à intégrer ses propres codes.

..L'officier de sécurité appuya sur le bouton refermant les portes de l'ascenseur et lui adressa un sourire déférent. Nicolas Sarkozy crispa les mâchoires. Dieu qu’il n'aimait pas les militaires !

..C’est profond ? demanda-t-il.

..Assez, monsieur le président.

..Nicolas Sarkozy ferma les yeux, tandis que l’ascenseur plongeait en silence dans les entrailles de l'Élysée. La machine à remonter le temps fit un bond de trente-six ans dans le passé. Elle s'arrêta le 13 novembre 1970.

..Ce fameux jour où tout avait commencé…

***


Paris, 13 novembre 1970


Le général était mort depuis trois jours et nos larmes étaient intarissables. Deux jours que nous pleurions, Dadu et moi. On tournait en rond en écoutant la radio, en lisant et relisant les journaux. L’appartement sentait la cendre, la suie, la poussière, comme quand grand-père Mallah est parti. J'arrivais pas à croire que le général était mort, qu'il avait aussi peu profité de sa retraite. A cinq heures je suis allé faire un tour aux Batignoles en vélo, j'avais besoin de m’aérer la tête… J'ai pris la deuxième édition de France Soir au kiosque et j’ai aperçu Guillaume qui faisait un flipper au Chaptal avec sa copine la blondasse, ça m’a foutu en rogne. Je suis revenu comme un bolide rue Fortuny. Je suis allé m’enfermer dans ma chambre, j'avais besoin d'être seul. J’ai lu et relu tous les articles sur la mort du général.Qu'est-ce qui va nous arriver, maintenant que vous êtes parti, mon général ? Les Français n'ont pas été très corrects avec vous, vous allez laisser un sacré vide. Ce référendum, c'était un coup de tête, non ? Vous saviez que vous alliez perdre, allez… J’ai découpé l'article avec la photo du général et je l’ai rangé dans le carton aux reliques, avec mes grognards Mokarex, mon album d'images Poulain sur la chanson française, l'album de timbres de Papy Mallah, le cahier avec les autographes des coureurs du tour de France 67 et le drapeau bleu blanc rouge que j'avais fabriqué avec un chiffon pour aller à la grande manif contre la chienlit. Je me voyais encore en train de colorier, m'appliquant comme un écolier, avec l'odeur de feutre qui me tournait délicieusement la tête. J'ai déplié le drapeau. Les couleurs étaient passées, l'odeur du feutre – que j'aimais tant snifer en me gavant de chocolat – s'était évaporée, depuis le temps, mais la petite croix de Lorraine sur le carré blanc du milieu n'avait pas bougé. Un objet enveloppé dans le chiffon a glissé par terre : l’étui à photos en accordéonSalut les copains que Papy Mallah m'avait acheté au carré Marigny. Côté pile la photo de Salvatore Adamo dans le filmL’ardoise. Côté face Johnny dans D’où viens-tu Johnny ?Des années que j’avais pas mis le nez là-dedans ! Tombe la neige… Tu ne viendras pas ce soir… À chaque fois que je mettais le nez dedans j'avais envie de chialer. C'est peut-être pour ça que j’ai jamais eu le courage de le remplir. Et qu’il ne contenait que quatre ou cinq photos. Je l'ai déplié. Les icônes étaient toujours là. Sur la première, je suis avec Guigui, je tiens Poupette dans mes bras, on voit juste ses pattes qui dépassent, j'aime beaucoup cette photo… Sur la deuxième, je pose avec Clo-Clo à la batterie, à Royan. La troisième avec mes parents, dans la galerie des Glaces au château de Versailles, celle-là je l'adore et je la déteste, combien de fois j'ai failli la jeter… La quatrième… Putain, la tronche que j'ai… qu’est-ce qui m’a pris de me saper en… Les photos avaient un peu jauni mais le temps veillait au grain. Elle était toujours aussi belle, la princesse… et moi, qu'est-ce que j'étais fier dans ma belle panoplie, prêt à partir au combat à la tête de mes troupes, comment on disait, déjà… Mindenhol vagyok ! En quelques secondes, je me suis senti submergé par un immense sentiment de mélancolie, ça faisait beaucoup pour la même journée.Mindenhol vagyok. Ça faisait des années que j'avais pas prononcé cette petite phrase. Ça le ferait pas revenir mais comme disait grand-père, y a que la foi qui sauve.Mindenhol vagyok. J'ai pensé à la Dame de la Paix, qui m'avait appris cette phrase. J’entendais sa voix, je voyais ses mains, mais j'avais du mal à me souvenir de son visage, et je n'avais aucune photo d'elle. Est-ce qu'elle était toujours vivante ?

..Sur ces entrefaites Guillaume a déboulé dans la chambre comme un ouragan. J'ai planqué l'accordéon dans mon dos mais il a pas loupé le journal découpé posé sur mon lit. Je l'aurais tué, ce fumier.


..Jamais tu frappes avant d'entrer, connard !

..C'est quoi, ce boxon ? Oh, mais il a pleuré, le p’tit frère ! C'est la mort du général qui te met dans cet état ? Il a un gros gros chagrin, le Minus…

..T'es vraiment trop crétin ! Tu respectes rien !

..Qu'est-ce que tu croyais ? Qu'il était éternel ?

..C'est tout l'effet que ça te fait ? Le général de Gaulle est mort et tu pars jouer au flipper avec ta pépée…

..Mais c'est qu’il m’espionne, le Minus ! Il veut travailler pour Marcellin, quand il sera grand?!

..Il m'a acculé contre le mur en me donnant des petits coups de poing sur l’épaule.

..Qu'est-ce qu'il cache dans son dos, le p’tit frère ? Fais voir un peu…

..Cette grosse brute me tordait le bras, j'avais super mal.

..Mais t'es malade, arrête !

..Pas avant de voir c'que tu caches dans ta petite menotte.Minnie petite souris, qu'est-ce que tu tiens derrière ton dos… Je parie qu'il est encore en train de se gaver d’éclairs au chocolat !

..J'ai fini par lâcher prise, il s'est emparé de l'étui.

..Voyons voir un peu… Oh, mais c'est notre princesse ! Bonjour, madame d’Orgerus, que vous êtes jolie, que vous avez de beaux yeux…

..File-moi ça, Guillaume !

..Monsieur Minus conserve les reliques ! C'est pour quand le mariage ?

..Rends-moi ça, espèce de crétin !

..Tttt-ttt-ttt… Prise de guerre. Je te rendrai ça quand tu seras devenu un grand garçon, frangibus.

..Guillaume agitait l'étui à bout de bras devant moi. A chaque fois que j'essayais de l'attraper il me repoussait d'un coup de coude dans le ventre.


..Rends-moi ça !

..Bas les pattes, petit gaulliste orgueilleux !

..Rends-moi mes photos, espèce d'imbécile !

..Touche-moi pas, tu veux ! Tu me salis…

..Casse-toi d’ma chambre, pauv’ connard !!! T'as rien à faire ici !

..Mais c'est qu'il mordrait, l'animal ! On va placer la barre très haut, Nicolas Minus, comme ça, ça te mettra du plomb dans la tête… J'te rendrai ta princesse quand tu seras… président !

..Président du Rallye de Neu-Neuille ? Tu peux t’les garder, tes mochetés, connard !…

..Président de la République, banane !… De Gaulle est mort, y a une place à prendre, tu savais pas ?

..T'es vraiment qu'un pauv’ débile !

..Monsieur Nicolas Minus de Nagy-Boçsa, président de la République, a le plaisir de vous annoncer ses fiançailles avec la princesse Daphné de Fortuny-Orgerus. Le mariage sera célébré en l'église Saint-Philippe-du-Roule en présence de la Reine d’Angleterre et du Duc d’Edinbourg, et commenté par Léon Zitrone.

..Il est parti en se fendant la poire. Avec mes photos. J’ai retrouvé ma mère à la cuisine, l'oreille collée au transistor. Le président Pompidou parlait dans le poste. J'aimais pas sa grosse voix.


..Il va te manquer, le général, hein, mon lapin ? m’a dit Dadu en me voyant sécher mes larmes.

..Elle ne pouvait pas savoir que c'était des larmes de colère. Je ne lui ai rien dit. J'ai dévoré une tablette de chocolat Poulain et un paquet de gaufrettes. Sur la dernière c'était écrit : "TANT VA LA CRUCHE A L'EAU…"

..Qu'à la fin elle se casse ! j'ai marmonné. La vengeance est un plat qui se mange froid, Guigui. Un jour, mon général, je serai président de la République… J’en fais le serment.

..Dans ma poche j'avais le chiffon bleu blanc rouge de la manif interdite, que Guillaume avait laissé.

..Tu devrais sortir un peu prendre l'air, a murmuré Dadu. Ça te ferait du bien, tu es tout pâle…

..J'ai agité le drapeau sous son nez.

..Tu te souviens, Maman ? J’l’avais mauvaise, ce jour-là…

..Elle a hoché la tête, elle a juste dit : "Tu peux aller sur les Champs-Élysées, si tu veux…"

..Tu viens avec moi, maman ?

..Non. Je préfère rester ici… Prends un parapluie, ils ont dit qu'il allait pleuvoir à la radio. Ne rentre pas trop tard, s’il te plaît…

..J’ai dévalé l'escalier en fredonnant La Marseillaise, je vous jure que c'est la vérité. Et c'est comme ça que tout a commencé…



***


Paris, 18 mai 2007


C’est comme ça que tout a commencé, on peut dire ça comme ça, oui. Si Dadu ne m'avait pas empêché d'assister à la manif du 31 mai 68, je n'aurais vraisemblablement pas gardé le chiffon bleu blanc rouge. Et je ne serais peut-être jamais devenu président, va savoir… À la tombée de la nuit, le jour des funérailles du général, j'ai défilé sur les Champs, sous une pluie battante, en agitant mon petit drapeau et en versant toutes les larmes de mon corps, parmi la multitude, comme on disait à l'époque.

..Et maintenant, me voilà à l’Élysée, à ressasser tous ces souvenirs. J’en reviens pas, quand même… J’suis le président d’la République élu avec 54% des voix… Le chef de la Multitude, c'est moi, et le premier qui se met en travers de ma route je lui casse la tête…

..Monsieur le président ? Vous êtes prêt ?

..Pardonnez-moi… je pensais… au général…

..C'est bien naturel, monsieur le président. Il incarne la fonction, on ne saurait dire mieux.

..Dites donc, c'est drôlement sophistiqué, ici !

..C'est un endroit totalement coupé du monde, prévu pour résister à une explosion nucléaire, à l’abri des systèmes de surveillance satellitaires les plus sophistiqués, on peut y vivre en autarcie pendant plusieurs semaines, tout est prévu.

..La salle Jupiter était un endroit vraiment flippant, triple contrôle biométrique à l'entrée (iris, paume, empreinte vocale), éclairage cinglant, air conditionné, un peu spartiate. J’avais hâte d'en finir. L'officier de sécurité m'a montré l'écran de l'ordinateur sur lequel je devais entrer mes codes, protocole dont j'avais effectué les préliminaires avec le président Chirac deux jours plus tôt. Nous avions croisé sept ou huit militaires en uniforme depuis que nous étions arrivés. Dès que je croise un gradé, j'ai droit au claquement de talon. Ça classe. Le chef maintenant c'est moi, Guigui. Mindenhol vagyok. Bizarre de penser à la Dame de la Paix dans cet endroit…

..Je vous maintenant vous confier la clef des codes nucléaires, monsieur le président. Naturellement, vous ne pouvez pas garder le code de votre prédécesseur… Vous devez maintenant créer votre propre code secret, qui sera nécessaire au déclenchement du feu nucléaire, bien entendu. La probabilité que vous ayez à l'utiliser est quasi-nulle, et vous ne pouvez lancer le protocole à vous seul – au cas où un problème altérerait votre intégrité physique, ou… psychologique.

..Rassurez-vous, j'ai le cœur solide et la tête aussi.

..L'officier de sécurité fit la moue.

..Et personne ne peut non plus le lancer sans votre approbation… Il va de soi que ce code secret doit être suffisamment complexe pour que personne ne puisse le deviner. Je vais vous demander de composer une série de six mots de trois lettres chacun. Les chiffres ne sont pas admis. Le logiciel refusera votre code tant qu’il n’aura pas généré un degré de complexité suffisamment important. Quand vous aurez fait votre choix définitif, vous les retaperez une seconde fois pour confirmation, puis une troisième… Vous devrez ensuite attendre six minutes pour le recomposer une quatrième fois, à partir de Foudre de Zeus… C'est le surnom que nous donnons à l’ordinateur de la mallette nucléaire… Vous devrez vous souvenir de ce code jusqu’à ce que vous quittiez vos fonctions et ne l'écrire nulle part. Évitez donc tout procédé mnémotechnique trop évident… C'est à vous, monsieur le président. Je vous expliquerai le reste de la procédure au fur et à mesure. Tous les algorythmes enregistrés ici sont reproduits à l'identique dans le disque dur de Foudre de Zeus. La mallette vous suivra, partout, où que vous alliez dans le monde, de telle sorte qu'il vous soit possible de déclencher l'apocalypse de partout…

..Mindenhol vagyok, je mumure entre mes dents.

..Pardon ?

..Non, rien. Continuez.


..Foudre de Zeus est un micro-processeur ultra-puissant et ultra-protégé. Je suis le porteur de cette mallette, monsieur le président. Nous allons nous croiser beaucoup pendant ces cinq prochaines années… Et comme il peut m'arriver de prendre des vacances, en mon absence vous serez accompagné par le général Lobligeois, ici présent.

..Et hop, un petit claquement des talons.

..Mes respects, monsieur le président !

..Au cas où nous serions tous les deux indisponibles, le général Bulteau prendra la relève.

..Très honoré, monsieur le président !

..Le général Bulteau, un petit rouquin barbu un peu rondouillard, n'avait absolument pas la tête de l’emploi. Ça me le rendait du coup un peu plus sympathique.

..Nous allons pouvoir commencer, monsieur le président. Vous avez fait votre choix ?

..J'avais l’impression de passer chez Jean-Pierre Foucault. Bon, c'est pas le tout, allons-y, Alonso.

..J’ai pensé à Cécilia, à Louis, à Dadu.

..Et j'ai pianoté.

..L'ordinateur a refusé mes trois premiers codes secrets, pas assez complexes.

..Alors j'ai pensé à la Dame de la Paix.

..Fiat de luxe ! (comme disait Guigui) : cette fois, ça a marché !


A SUIVRE…