25/09/2009

Chapitre 3. JE VEUX CETTE FILLE !




Marnes-la-Coquette, 13 novembre 2007



...Dans la Vel Satis qui me conduit chez Séguéla, je ne cesse de penser à elle. Sans savoir qui peut bien être cette poule de luxe qu’il va me fiche dans les pattes, je sens que j'ai décroché le gros lot. Jacques m'avait téléphoné la veille à vingt heures. C'est pour demain, Nicolas. J'ai invité une fille qui va te plaire, je ne te dis que ça… Je l'avais supplié quelques jours plus tôt de m'organiser une petite fête de copains, tellement je m'emmerdais le soir à l’Élysée. Moins par besoin de décompresser que pour fuir une solitude qui m'était de plus en plus pesante depuis le divorce avec la mère de Louis.

...Belle?

...Le président de la République mérite mieux que ça. Une icône.

...Elle ressemble pas trop à … ?

...Pas trop. Bon, c’est pas une blonde, non plus. Beaucoup moins… cérébrale… Plus… enfin, tu vois…

...Bandante ?

...C'est un euphémisme.

...Connue ?

...Top ten.

...Un bon coup ?

...C'est c’qu’on dit en ville.

...C'est c’qu’on dit en ville ou t’as déjà couché avec elle ?

...Nicolas, voyons…

...Les Français la connaissent ?

...Affirmatif. Ça va faire des jaloux… C'est bon pour toi, ça, coco !

...Tu veux dire qu'ils n'étaient pas jaloux de Cécilia ?

...Ttt-ttt. Trop coincée, trop… cérébrale… Tandis que là…

...J'aime pas trop ce ton sucré qu'il prend, le père Séguéla.

...Tu trouves qu’elle était trop coincée ?

...Tu sais comment tes p’tits potes de l’UMP l'appelaient, rue d’Enghien ? Le spectre…

...Les enculés… C'est pas une journaliste, au moins ? Parce que là, j'ai donné…

...Je ne t'en dirai pas plus, mister president. C'est un blind-date, c'est ça qui est excitant.

...Elle se doute de rien ?

...En tout cas elle fait comme si.

...Elle se doute de rien et elle est excitée, c’est pas une call-girl, dis-moi…

...J’ai dit que les Français la connaissaient, tu ne m’écoutes pas, Nicolas.

...Ah oui, j’suis con… On sera combien ?

...Huit ou dix, je ne sais pas encore. J'ai invité Smet mais il n’est pas sûr de pouvoir être là, il avait un dîner avec Balkany. Comme il est voisin il passera peut-être en fin de soirée… Je lui ai dit que Sardou ne serait pas de la fête mais je ne sais pas s’il a très envie.

...Ils sont pas rabibochés, ces deux-là ?… Bon. Et si ça ne marche pas ?

...Ça ne peut pas ne pas marcher, Nico.

...Bon. J'ai hâte d'être à demain.

...Moi aussi, mister president. Je t'ai fait préparer ton velouté aux asperges préféré de chez Guy Savoie, tu vas te régaler.

...Ça fait plaisir de savoir que tous les fils de pub ne sont pas des pourris, Jacques. Je saurai m'en souvenir… Je t'embrasse bien fort, mon grand.


***


Carla portait un pull beige laissant tout juste entrevoir la naissance de ses seins. J'ai jamais été attiré par les poitrines opulentes, l’affaire se présentait bien. Je ne l’avais jamais rencontrée auparavant. Tout de suite, j’ai pensé à JFK. Si seulement tu pouvais devenir ma Jackie, Carla, je serais le plus heureux des hommes. Mon Dieu qu’elle était belle ! Je n’avais qu'une hantise : qu'elle me trouve un peu trop fleur-bleue. Ça a toujours été mon problème avec les filles : de peur de ne pas être à la hauteur, j'en fais parfois des tonnes, ça ne plaît pas forcément à toutes les femmes. Ça a démarré sur des chapeaux de roue entre nous. Le coup de foudre. J'avais l'impression d'être dans un film. Super-Ségué n'avait pas eu besoin de lui faire un dessin, ma situation sentimentale s'étalait dans tous les journaux. Elle était sous le charme elle aussi. Elle me l’a dit, après… Je l'ai pressée de questions sur sa vie, son métier de mannequin, sa carrière de chanteuse, je voulais tout savoir sur elle, elle avait à peine le temps de me répondre que je lui posais une autre question. Je mourais d'envie de lui demander de me chanter une petite chanson. C'est seulement sur le coup de minuit qu’elle a pris sa guitare…


...Carla, ça fait une heure à peine qu’on se fréquente et tu vois… j'ai l'impression de te connaître depuis toujours… C'est encore possible, une chose pareille, de nos jours ? Avec tout ce qu'on a vécu, chacun de notre côté… on se croit blasé… Eh ben, non, on peut toujours être surpris ! Moi, je dis que c'est merveilleux, hein !

...Avec vous, tout est possible, mister president !

...Celle-là, il faut se lever tôt pour la surprendre. J'aime ça. La vache, qu'est-ce qu'elle ressemble à Cécilia ! En plus corrosive. Si elle me dit non je vais crever. Je la veux. Je veux cette fille. Si Johnny était venu, je lui aurais demandé de sortir sa guitare… Je veux cette fille… Je veux cette fille, oh-yeah… Bon, je me rappelle plus trop l'air, mais les paroles… je les ai sur le bout de la langue. La langue italienne. La plus belle langue du monde.

...Oh, non !!! Regardez-moi cette petite biche, comme elle a l'air effarouchée…

...C'est à ce moment-là que j'ai passé pour la première fois ma main dans ses cheveux.

...Comment tu fais pour être aussi belle, Carla ?

...Sur le coup je me suis senti un peu niais. Quand tu te sens con avec une fille, chante-lui une petite chanson, conseil d'ami de Didier… J'ai tenté le coup, pour voir.

– Biche, ma biche, lorsque tu soulignes… au crayon noir tes jolis yeux…

...Biche ma biche, moi je m'imagine… que je suis un papillon bleu…

Là, j'ai senti que c’était in the pocket. A moins d'un tremblement de terre elle était à moi.

...Tu connais Franck Alamo, Carla ? Pas vrai !

...J'ai le 45 tours à la maison… Ma mère adorait, je te jure, Nicolas !

...J'étais littéralement explosé.

...Ne jure pas, Carla, tu es bien trop belle pour ça… Je crois qu'on va très bien s'entendre, tous les deux.

...Vous croyez vraiment, mister president ?

...Là-dessus, elle humecte son index et me le colle sur le bout des lèvres.

...Fais gaffe, Nicolas, a lancé Séguéla, elle fait sa Marylin, mais elle est timide. On croit que les Italiennes sont des pimbêches qui n'ont pas froid aux yeux, mais tu vois, ce sont des timides…

...Je n'aurais pas dit cela comme ça, Jacques ! Mais c'est vrai. Ma sœur est beaucoup plus… comment dit-on en français… "rentre-dedans" ? ...Ça nous empêche pas d'être… pudiques…

...Parce qu'en plus, elle a une sœur ?! Eh bé, dites-moi ! Elle est aussi belle que toi ?

...Oui. Valeria Bruni-Tesdeschi. La comédienne… Tu ne la connais pas ?

...Si tu savais comme je regrette de ne pas avoir le temps d'aller au cinéma ! Elle joue dans quoi, ta sœur, Carla ?

...Oh, des tas de films. Oublie-moi, Ah, si j'étais riche, Les histoires d'amour finissent mal, en général. Oh pardon, je voulais pas…

...C'est pas grave. Je suis un grand garçon, je m'en remettrai.

...Non, elle n’a pas joué dedans, je confonds avec Les gens normaux n’ont rien d'exceptionnel. Elle en a aussi réalisé deux. Le premier, "Il est plus facile pour un chameau…"

...Elle doit pas boire comme un chameau pour trouver des titres pareils, ta sœur !

...Il est trop mignon, ton copain, Jacques ! Ça vient de la Bible, tu connais pas ? "Il est plus facile pour un chameau de passer par le chas d'une aiguille que pour un riche d'accéder au royaume des Cieux."

...Ah, ça, c’est typiquement français ! L’argent, tout le monde meurt d’envie d’en avoir, mais quand c'est l’argent des autres, c’est un crime…

...C'est un film très joli, très pétillant, plein de pudeur, qui parle de notre famille, je te passerai le DVD, si tu veux… J'ai une vie de famille très compliquée, tu sais…

...T’as vu comment ils me sont tombés dessus, avec mon augmentation ! Dans quel monde on vit, franchement ! Parce que c’est un crime d'avoir envie de vouloir vivre bien ? Je sais que tu es de gauche, Carla, mais j'ai pas peur de le dire, je déteste cette petite mentalité. Avec moi, y aura pas de petit sentiment, je ne transigerai pas avec cela. Que cela plaise ou que cela ne plaise pas…

...Je déteste ça aussi, Nicolas. Je n'ai jamais compris pourquoi l'argent était à ce point tabou dans votre pays. (Carla avait du mal à rester sérieuse. Elle s’est mise à pouffer.) Dis-moi, Jacques, tu lui as dit quoi, à ton copain ? Que je suis une anarchiste ?!… Je suis de gauche mais je suis pas tout à fait conne non plus !!!

...Putain, quelle gonzesse ! Séguéla m’a fait un clin d'œil appuyé, genre, appuie sur le champignon, coco, le poisson est ferré.

...D'habitude je n'aime guère ce mot, anarchiste… mais dans ta bouche, Carla, ça a vraiment une connotation… très très appétissante ! A propos, ce repas est tout simplement délicieux, Sophie.

...Je transmettrai le compliment à notre traiteur, Nicolas.

...Jacques ! Tu m'avais pas dit que le président de la République française est un coquin sexuel !

...Regard de braise, clin d’œil fripon. Je fonds. Être un macaron dans sa bouche. J'espère qu'elle aime les macarons… Cette bouche qu’elle a !

...Je t’avais prévenu qu’elle était caustique, Nicolas ! a lancé Luc Ferry.

...De quoi il se mêle, celui-là ! Devant sa femme, en plus, il est gonflé. Je ne fais plus attention à eux tellement je suis hypnotisé. Je prends quand même le temps de lui rendre la monnaie de sa pièce.

...Dis-moi, Carla, c'est vrai ce qu'on raconte sur vous deux ? Avec Luc, vous avez ?…

...Oh!! Juste une fois… Luc est si… irrésistible. Depuis, Luc et moi nous sommes devenus de très bons amis, n'est-ce pas, Marie-Caroline ?

...Pauvre Matao, elle savait pas où se mettre. Elle est pas mal non plus, Matao. Un peu coincée mais pas mal. Manquerait plus que Séguéla invite des moches, remarque…

...Pour répondre à ta question, Carla… Je sais pas si je suis un… coquin sexuel… mais oui, j’aime les femmes. Intensément. Mon père m'aura au moins laissé cet héritage…

...C'est vrai ce qu'on raconte, mister président ? Que vous vous sentez si seul à l'Elysée ?

...J'aime cette franchise, Marylin. J'ai envie de la mettre dans mon lit. Là, tout de suite. J'espère que ça se voit pas trop. Je joue mon va-tout.

...Je peux te parler franchement, Carla ?

...Oui, bien sûr. Nous sommes des adultes. La vie est courte, et nous ne vivons qu'une fois, tu sais ça aussi bien que moi.

...Michel Onfray m’avait dit à peu près la même chose quand il est venu me voir à Beauvau, c'est marrant. Tout ce que ces connards de journalistes ont retenu, c'est cette histoire de pédophilie, on avait pas mal parlé cul mais il s'en est pas vanté, le philosophe. Je peux vraiment pas les blairer, ces intellos…

...Carla, je vais te parler franchement… Je viens de vivre une rupture très douloureuse avec mon ex-épouse, mais au-delà de la souffrance que j'ai endurée, je ne peux pas lui en vouloir d’avoir choisi de me quitter au moment où j'avais le plus besoin d'elle… Elle a fait ce choix, et je le respecte. L’amour, c'est comme le sport : quand on perd, il faut savoir être beau joueur.

...Ecoutez-moi ce beau parleur !! C'est surtout au moment de l'élection que tu avais besoin d'elle, Nico. Érection, piège à cons ! Les Français n’auraient pas voté pour un cocu !

...Il est comme ça, le fils de pub. Imprévisible. On se calme, Jacquot. Lâche-moi un peu la chandelle, tu veux…

...Séguéla, tu vas finir par devenir grossier, et je suis pas sûr que Mademoiselle apprécie vraiment. C’est une chose d'être audacieux, c’en est une autre d'être grossier… J'ai pas raison, Carla ?

...Ma belle Italienne papillonne des yeux. Elle frémit, elle est à point, c'est le moment de porter l’estocade, comme disait ce connard de Bedos. Qu'est-ce qu'il y a comme connards, dans ce pays, quand on y pense !

...Dis-moi, Carla, en parlant d'audace… tu serais cap’ de m’embrasser sur la bouche, là, devant tout le monde ?


...Carla se met à rire. Intensément. J’ai jamais vu une femme aussi craquante. Je craque, je bande, je perds la boule. Petit rictus effarouché. Je caresse son poignet gauche du bout des doigts. Ça passe ou ça casse.

...Je vous ai choquée, Carla ?

...Mais non. Non, pas du tout. La fortune sourit aux audacieux, tu sais… C'est juste que… la dernière fois qu'on m'a dit une chose pareille…

...– … tu avais quinze ans et tu courais en petite jupette dans les rues de Milan avec cinquante paparazzi aux trousses, c'est ça ?

...Pas du tout. Le dernier homme qui m'a dit cela… c'était Mickey…

...Mickey ? Mickey Mouse ? Mickey Rourke ?

...La voilà qui ouvre les bras, comme si elle allait jouer de la guitare.

...I can't get no ! Satisfaction… When I try… when I try… Tu sais bien, allons !

...Alors c'est vrai, c’qu’on raconte ? Tu t’es vraiment envoyée en l'air avec Mick Jagger ?

...Please to meet you… Please to meet you… Hum-hum. Et toi, Nicolas, tu as vraiment fait l'amour avec…


...Carla approche sa bouche de mon oreille. Murmure un nom qui n’a jamais transpiré dans les médias. En plus de ça, elle a un service de renseignement de première bourre. Cette fille a toutes les qualités. Elle ferait une première dame parfaite.

...Oui. On l'a fait. Elle m’a couru après pendant des semaines, j'ai fini par lui rendre ce petit service.

...Oh, le goujat ! Tu as ? Tu as vraiment ?…

...Mais oui, ma poule. Elle en mourait d'envie ! Je dois dire que c’était pas tout à fait désagréable…

...Et tu l'as fait… jouir ?

...Intensément.

...Ça alors, tu m'épates ! Je croyais qu'elle était frigide.

...Il n'y a pas de femmes frigides, Carla, il n'y a que des hommes impuissants. Ou au pire maladroits. J'ai également eu une courte liaison avec…

...A mon tour d'approcher ma bouche de son oreille, et de murmurer un nom.

...Elle me pince doucement le bras.

...Waouw ! Vous m’épatez vraiment beaucoup, mister president.

...Tu sais, Carla, je ne suis peut-être pas le plus bel homme de France, mais… il se trouve que je plais à beaucoup de femmes.

...On ne peut pas être élu président si on ne plaît pas aux femmes dans ce pays, a coupé Séguéla. C'est ma-thé-ma-tique. Pour ça que Jospin est resté en rade…


...Prenant à témoin la belle, je pointe le doigt vers Ségué.

...Il est chié, ce mec, hein !! Bon, c'est vrai… il faut pas se voiler la face… Quand on est président, il y des bras qui s’ouvrent… T’as qu'à en parler à Chirac !

...Quand c'est pas autre chose, ajoute finement mon Jacquot. Tu sais comment l’on appelait, au temps de sa splendeur ? Cinq-minutes-douche-comprise !

...Il parle de Chirac, pas de Jospin, je précise.

...Je sais ça, oui, poursuit Carla, un rien mélancolique. Ça me tristesse un peu, aussi, je veux dire ça m'attriste… que dans les mots pouvoir de séduction, on met toujours en avant la question du pouvoir… Je trouve ça un peu too much. Le domination contre le sentiment… le mécanique contre le sémantique, je sais pas comment dire en français… Tu comprends ce que je veux dire ?

...Je comprends, oui.

...Après le quart d'heure américain, le quart d’heure intello. Je comprends surtout que tu as de très beaux yeux, des épaules, des hanches de diva. On va pas s'ennuyer, je sens ça !

...On t'a déjà dit que tu avais le regard le plus sensuel de la terre, Carla ?

...On m'avait déjà dit de la péninsule, mais de la terre !…

...Putain, mais je rêve pas ! J'ai fait une touche, là! Wouaw !!! J'adore ce petit sourire mutin qu'elle a.

...Je ne plaisante pas, Carla. Jamais avec ces choses-là.

...Mais moi aussi je suis sérieuse, mister president… Séduire, d'accord. Tout le monde a envie de séduire. Mais pourquoi le fait d'avoir le pouvoir aiderait-il à gonfler les ailes, c'est pas très juste !

...Si Bigard était là, c'est pas les ailes qu'il gonflerait ! a dégainé Séguéla.

...Jacques, je t'en prie, me casse pas ma baraque. Cette fille est une croqueuse d'hommes mais elle n'aime pas la vulgarité. Je réitère ma proposition.

...Tu serais cap' de m'embrasser, alors ?

...Les autres invités en restent baba. Guillaume, le décorateur de Carla, et sa femme, éclatent de rire.

...Mmmouii. Pourquoi pas ?!

...Je crois que c'est à ce moment-là que je suis tombé raide dingue amoureux d'elle.

...C'est pas le "mmmouiii" franc et massif, Carla ! L'Italie veut négocier ? Comment on dit, chez les pirates ? Pourparlers ?

...Carla lève le pouce. Un baiser du bout du pouce, même dans Nous Deux j'ai encore jamais vu ça. Mon Dieu, ces attaches ! Dieu que ce beige lui va à ravir !

...C'est ça : "pourparlers" !… Et pourquoi on ne négocierait pas l'amour, tu sais… C'est comme ça qu'on faisait, du temps de la monarchie… Vous avez fait très fort, vous les Français ! Cette pauvre Marie-Antoinette en a fait les séquelles…

...On n'est plus au temps de la monarchie, Carla, laisse donc cette pauvre Marie-Antoinette en paix.

...Je ne déteste pas votre côté "monarque", you know, mister president !

...Pitié, Carla ! Tout ce que tu veux, mais ne me force pas à parler british. S’il te plaît.

...Vous me flattez, madame! I am your obligé…

...Mais toi, Nicolas… Si je te demande de m’épouser, là, tout de suite, devant Jacques et ses invités, tu serais cap’, comme tu dis ?

...Jacques !! Jacques !! Tu as entendu ? Ta copine vient de me demander en mariage !! On vient à peine d'en finir avec le potage aux asperges qu’elle me demande en mariage !! Excellent, ce velouté. Il faudra que je te demande à Guéant de mettre Savoie sur la liste de la Légion d’honneur.

...Il est déjà commandeur, si je ne m'abuse, a répliqué Séguéla. Par contre, moi, je ne cracherais pas dessus.

...Mitterrand ne te l'a pas refilée ? Le chien !

...Carla riait aux anges. Mes blagues les plus éculées la faisaient rire comme une collégienne. Elle était chaque seconde plus belle, plus sucrée.

...Il est drôle, ton ami, Jacques ! Où l'as-tu rencontré ?

...A Disneyland. Planqué sous un masque de Pluto.

...Le pire, c'est que c'est vrai ! j'ai lancé. J'avais fait ça pour amuser Louis… Qu'est-ce qu'il était heureux, le p’tit !

...Je sais pas ce qui a pris à Séguéla d'inventer ce mensonge épais mais la belle Italienne a mordu à l'hameçon.

...Disneyland ! J'adore Disneyland !

...Carla Bruni s'est tournée vers son ex-amant d’un jour Luc Ferry.

...Je ne comprends jamais pourquoi vous, les intellectuels, vous dénigrez tout ce qui est populaire. C'est injuste, non ?

...Oh, mais moi, je ne dénigre personne, chère Carla. D'ailleurs, nous y sommes déjà allés, avec mon épouse. N'est-ce pas, Matéo ? J'étais au ministère de l'Education, vous pensez bien que je ne m'en suis pas vanté…

...La suite du repas fut un tourbillon d'apartés coquins entre Carla et moi. Elle sentait bon. Les mets et les vins étaient raffinés, comme toujours chez Ségué, mais je m'en battais l’œil. Je n'avais d'yeux que pour elle. Si elle m'avait demandé de boire du vin pour elle, je l'aurais fait. Mais Séguéla avait dû la mettre au parfum alors je n'ai pas été obligé de m'abaisser à ça. La bonne éducation bourgeoise, encore une fois. Nous nous dévorions des yeux. Très vite, j'ai hasardé ma main sur son épaule dénudée. Ce fut la caresse la plus improbable et la plus intime de mon existence. Je ne sais plus qui a dit que certaines caresses sont comme l'insurrection, improbables, mais nécessaires. J'ai lu ça dans les fiches sur le petit bouquin que Le Squale m'a envoyées, comment s'appelle ce torchon, déjà ? L’Insurrection qui vient. Un livre signé d’un Comité invisible, qui m'avait un peu fichu la trouille – fort heureusement, MAM, la dame de Fer de la place Beauvau, avait un plan imparable pour mettre fin aux activités de ces petits bourgeois anarchistes de mes fesses. Carla, qui avait beaucoup souffert du terrorisme et s'était réfugiée en France à la suite des menaces planant sur sa riche famille à la fin des années soixante-dix, m'encouragera en ce sens. Mais ça, c'est une autre histoire…


...En attendant, l'insurrection avait lieu sous la ceinture, dans la magnifique villa de Marnes-la-Coquettes du fils de pub de mon cœur, et je n'avais peur que d'une chose : que Carla, la belle Italienne aux yeux de braise que j'étais résolu à demander en mariage dès que nous nous connaîtrions bibliquement, ne se rendît compte de la chose. Dans ma tête, ça chavirait. Je voguais sur la crête de l'océan. J'étais au ciel et en apnée. Carla et moi on s'est dragués comme des adolescents. A fond la caisse. On se buvait du regard, sans s'occuper des autres invités de Ségué. Que du bonheur. Mes petits soucis de président largué par une femme de tête qui se foutait pas mal des avantages en nature que procure le pouvoir étaient loin, très loin. J'étais amoureux. Cinquante fois au moins j'ai laissé aller ma main sur le coude, le cou, l'épaule de Carla, j’ai toujours aimé ça, toucher les gens, même Angela Merkel j'ai pas pu m'empêcher, mais là, c'était du feu de Dieu. Quand nous avons levé le camp, vers deux heures et demi du matin, nous savions que nous étions faits l'un pour l'autre. Dans la Vel Satis qui nous ramenait à Paris, on a continué à flirter sans se soucier du chauffeur. Je l'ai quittée dans l'allée de son hôtel particulier, avec la promesse de nous revoir dès le lendemain. Elle a eu la délicatesse d'attendre ce moment pour faire ce que je lui avais demandé de faire devant témoins chez Séguéla. J'ai mis un certain temps à reprendre mes esprits.

Arrivé à l'Elysée, j'ai inondé mes potes de SMS, impossible de trouver le sommeil. La primeur de l'info est allée à Dadu. Ma Maman à Moi. Elle m’a appelé le lendemain, juste avant le conseil des ministres, elle voulait connaître le nom de l'heureuse élue. La nouvelle la laissa mi-figue, mi-raisin. Dadu mettra du temps à oublier Cécilia, c'est évident. Bigard, fidèle à lui-même, me répondit que c'était un bon coup, que j'allais prendre mon pied et il m'a conseillé de faire gaffe quand même car la belle était du genre à en profiter pour reprendre la Savoie à la France. Balkany me proposa d'organiser des noces dignes de la belle à Saint-Barth, où il avait ses quartiers. Je lui ai dit "Je t’emmerde, on fera ça à l'Elysée, je vais même pas me faire chier à publier les bans, je suis le roi." Carla et moi on s’est revus en fin d'après-midi chez elle, on a baisé comme des dieux, à la lueur des bougies. Elle avait un tempérament de feu qui s'accordait pleinement à mon appétit impétueux. Je crois que j'ai été à la hauteur. De toute façon, avec les gélules miracle de Moureau, mon gourou préféré – à l'époque, on ne m'avait pas encore présenté le Doctiloque et ses incroyables tours de passe-passe périnéens –, même en cas de baisse de tension je suis le prince des gâteries. Vers minuit, alors qu'on s'était bien envoyés en l'air trois ou quatre fois, elle s'est levée, elle a glissé un CD dans le lecteur et elle m'a dit, écoute cette chanson, elle me fait penser à toi, je sais pas pourquoi. C'était une chanson d'un chanteur que je ne connaissais pas, Hubert-Félix Thiéfaine, ça s'appelait Je suis partout et je n'ai absolument pas compris le rapport avec moi. Je lui ai demandé de ne plus jamais me faire écouter ce disque de merde, en perdant un peu mon calme. Il m’aura fallu attendre deux ans, quand les Français, ces veaux ingrats, m'auront affublé de ce sobriquet stupide et odieux, pour comprendre que Carla était la femme la plus visionnaire que j'aie jamais rencontrée.

Je l'ai demandée en mariage deux jours plus tard, entre un jus de goyave et une petite ligne de blanche. Elle m'a répondu qu'elle avait eu des tas d'hommes dans sa vie, mais que l'homme qu'elle épouserait ce serait pour la vie. Et que c'était tout réfléchi. Pour moi aussi c'était tout réfléchi. Les rois mages Guéant, Charron et Louvrier se sont chargés d'organiser la cérémonie en catimini – le maire du 8ème bavait comme s’il célébrait le mariage de Lady Di et Dodi ressuscités –, les fuites dans les médias – ah, la merveilleuse servilité des petites pétasses de presse tortillant du popotin pour avoir leur dose de picotin – , la séance-photos à Disneyland, tout le toutim. N’en déplaise aux culs serrés de l'UMP qui crèvent de trouille pour leurs petits lopins municipaux, Carla c'est une force de frappe premier choix.

...Avec Carla, c'est du sérieux. Grâce à elle, les millions de Français qui n'ont pas voté pour moi et me crachent dessus matin midi et soir vont être obligés de se relever la nuit pour gerber leur venin… Ils n’ont pas fini d'en baver, ces petits connards… Grâce à toi, ma Carlita, j'ai retrouvé l'équilibre. Grâce à toi je suis revenu d’entre les boues. Grâce à toi, je suis de nouveau le plus fort, le plus beau, le plus grand. Grâce à toi, je crève l'écran et je dis merde à tous ceux que ça rend furieux de rage. Finalement, tu avais raison de me faire écouter cette chanson à la con, Carla, grâce à toi je suis vraiment partout partout partout. Ô Carla! Que serais-je sans toi, qui vins à ma rencontre ? Que serais-je sans toi, qu'un cœur au bois dormant ? Que cette heure accrochée au cadran de ma montre… Que serais-je sans toi que ce balbutiement ? Pour une fois, j'ai pas chanté Sardou, j'ai pas chanté Johnny, j'ai pas chanté Clo-Clo, j'ai pas chanté Lama. Avec toi, Carla, j'ai chanté Jean Ferrat. Ça a tout de même une autre gueule que la lettre de Guy Môquet sortie du chapeau à Guaino.

Je ne savais pas à l'époque que quatre ans plus tard les choses se détérioraient d'une façon aussi dramatique. Si je l'avais su, j’aurais sans doute rien changé à ma conduite. Ce pacte fut pour moi la boussole qui m'empêcha de sombrer corps et biens, après la trahison de cette petite garce de Cécilia. Deux ans, c'est toujours ça de pris.