Paris, 21 octobre 2007
C’est pas la grande forme aujourd’hui. Mes chaussures me font mal, j'ai les pieds en compote, je suis fatigué. D'habitude, c'est le départ qui est une torture, après, tu mets un pied devant l'autre, tu sais plus comment t'arrêter. Mais là… J'ai l'impression que j’arriverai jamais en haut de cette côte. Le Premier ministre court devant moi, je déteste ça, j'aime pas marcher à l’ombre des loquedus. Va falloir que je fasse preuve de diplomatie pour le lui dire sinon il va encore me faire un caca nerveux.
..– Hey, François !!
..– Je vais trop vite pour vous, monsieur le président ? Ah, pardon…
.Ah, ah, mort de rire… C'est ça, mon pote, rigole bien… Regarde-moi comment il court, ce pingouin! Ça a l'air de bien le faire chier, ces petits footings… C’est sûr que c’est plus fatiguant que tes petites virées en bagnole, pépère ! Je lui demanderais de faire la danse des canards, je suis pas sûr qu’il refuserait… Quel imbécile !
..– C'est pas ça… J'ai du mal à m’concentrer… quand il y a… quelqu'un… devant moi… question de feeling…
.Monsieur Nobody ralentit la cadence, docile. Je le dépasse, sans un regard, juste un petit signe de la main, merci François. D’habitude en courant je cause, c’est plus fort que moi, mais aujourd'hui pas envie de déblatérer. Je sais pas combien de temps il tiendra, j'aimerais bien qu'il me fasse le quinquennat, des comme lui y en a pas deux sur le marché, faudra que je pense à le ménager. Kou-Kouche-panière serait pas mal non plus… comme partenaire, je veux dire, pas à Matignon… Les body-guard se tiennent en retrait, ces mecs m'impressionnent, un job pareil je tiendrais pas deux jours, toujours sur le qui-vive, bon, il en faut, des larbins, ça doit être dans les gênes. La voie est libre désormais. J’aime mieux ça, coco.
..La route est bordée de grands arbres, ça me rappelle les hauts pins de mon enfance, à Pontaillac. Une voiture m'a doublé, une belle voiture de sport comme celle que mon père a achetée l'année où il est parti, c'était une Lancia je crois. J’ai plein de poussière dans le visage, qu’est-ce que ça me rend furax…
..Le temps de lever le nez, elle a disparu au sommet de la côte. Envolée.
..Fillon aussi s’est envolé.
..Et les body-guards aussi.
..Ne reste plus que mon père. Tout seul au milieu de la route, au loin, qui me fait de grands signes de la main… Nicolas ! Nicolas ! Mon petit… Mon père qui m'appelle et qui ne m'attend pas… Je suis tout seul sur la route, avec ma bite et mon couteau. Ma bite, je la sens au bout de mes doigts, ça me rassure…
..Mon père n'est jamais là quand on a besoin de lui. Quand on n'a pas besoin de lui il n'est jamais là non plus. A force de ne plus le voir on n'a plus jamais besoin de lui. Mon père est un fantôme, un mirage, un rire dans l’escalier, un bout de chemin qui serpente sous les arbres et se perd dans la nuit, une ombre qui tangue, un train qui part, une auto qui passe sur la route sans s'arrêter. L'auto, tu la vois au loin, et elle revient jamais. L'auto s'en va au bout de la route et elle me fait pleurer. Je suis un petit garçon qui pleure son père et qui court pour le rattraper. De temps en temps il revient nous voir, sans prévenir. Il ne reste jamais bien longtemps. Il apporte quelques cadeaux qui ne nous font pas plaisir parce qu'on sait qu'il n'a pris aucun plaisir à nous les acheter. Des cadeaux qu'il achète pour nous acheter. Mais nous acheter il peut pas, l'addition serait trop salée. Il a beau nous passer la main dans les cheveux et roucouler avec son accent pourri, c'est écrit sur son front qu'il n'est pas là. Pas avec nous. Y que quand il nous enguirlande à cause des mauvais bulletins qu'il est là, ce sadique. Déjà ailleurs, déjà parti. On entend Maman qui gronde dans la cage d'escalier, elle ne veut pas qu'on entende mais lui il s'en fout puisqu'il est déjà dans un autre monde et qu'il nous a laissés là tous les quatre avec ses cadeaux empoisonnés.
..J'ai demandé à Guillaume pourquoi il était comme ça. "Mêle-toi de tes affaires, Nicolas Minus, t'es trop petit !" Aussi sec il m’a bousculé et je l’ai cherché, petit croche-patte en douce, il est tombé et j'ai ri. Je m'en fiche qu'il me tape quand il se relève, j'ai même pas mal même pas peur et j'ai même pas le nez qui saigne. Quand il m'appelle Minus par contre j'ai envie de le fracasser. Guigui j'ai tout le temps envie de le zigouiller. Je réponds même pas peur, même pas mal, t'es qu'un grand, t'es qu'un très, t'es qu'un très grand con !!! Et je cours vers Maman pleurant au téléphone ou faisant semblant de lire le journal et je crie maman maman, y a Guigui qui m'a dit… y a Guigui qui m'a dit… y a Guigui qui m'a dit… J'arrive pas à terminer ma phrase tellement je suis essoufflé je vais m'étouffer mais elle a compris alors elle me serre dans ses bras et c'est bien comme ça c'est doux Dadiou c'est doux Dadiou c'est doux.
..Mon père est mort depuis longtemps. Mon père est un salaud qui ne veut pas mourir. Sans relâche il ressuscite et revient nous hanter. Mon père est un homme qui pourrait demander pardon tous les jours pour toutes ses fautes mais dès qu’il s’est levé pour faire le geste tout le courage s'en est allé et au lieu de s'écrouler il se redresse comme un coq et continue sa route en roulant les "r" et en faisant le baise-main à toutes les femelles qu'il rencontre.
..Du courage.
..Quand je le vois, je me dis c'est ce qu'il faudrait. Du courage. Je vais prendre mon courage à deux mains et lui dire ses quatre vérités. Juste un mauvais moment à passer. Après tu pourras reprendre la route, reprendre ta liberté, devenir un homme et ne plus emmerder la terre entière avec tes problèmes d'enfance humiliée. Quand tu lui auras dit ta façon de penser à ce salaud.
..Un jour, c’est sorti. Tu t'étais préparé depuis des semaines. T'avais trop envie de lui rentrer dans le lard. Il a pris son chapeau, il vous a regardés, les frangins et toi, et il a dit "Jé né vous dois rrrrien." En faisant traîner le "r" comme s'il coupait la tête à une frise de lapins.
..Les autres, à l'école, ça y va. Sarkozy, son père, il a trempé sa nouille dans la bourgeoise et il s’est tiré… Sarkozy, sa mère c'est une divorcée, elle est obligée de trimer pour faire bouillir la marmite… Sarkozy, son pater, c'est un vrai nubrique, il passe son temps à dessiner des femmes nues, je l'ai vu, une fois, place de Clichy, il parlait à des créatures, faut voir comment qu’il se rinçait l'œil… Sarkozy quand il te parle t'as l'impression qu'il en veut à la terre entière, eh, Nicolas Minus, qu'est-ce qu'il t'a fait l’bon dieu, t'as attrapé la chaude-pisse de la saint-guy ou quoi !
Et ta sœur, elle bat le beurre ? c’est ça que je leur réponds à ces connards. J'en ai marre qu'on me bizute, comment je vais te foutre mon poing dans la tête, moi, tu vas voir ! Y a que Papy qui m’aime. Mais j’ose pas lui en parler. Papy il est trop vieux, bientôt il va mourir alors ça ne compte plus. Maman aussi elle m'aime. Elle me le dit pas mais je le sais. Mais maman c'est pas pareil. Maman c’est Maman. Maman elle fait ce qu'elle peut. Maman est courageuse. Elle prend des cours de soir pour devenir avocate. Maman est fragile mais droite, elle ne courbe pas l'échine comme le petit cheval en caoutchouc qui roule sous la table en couinant. Le petit cheval son nom c'est Dadu alors Maman aussi on l'appelle Dadiou, Dadiou c'est doux, c'est doux Dadiou, c'est doux…
Alors, jeune homme, on est fatigué ? Qu'est-ce que vous faites la nuit ? On joue au bridge avec le général de Gaulle ? Quand est-ce que vous allez enfin vous mettre à travailler, monsieur Sarkozy ?!?
Les autres rigolent, quelle bande de cons !
..Maman ? T'es là ? Faut que tu m’aides, tout seul je peux pas me défendre…
***
..Je suis réveillé, maintenant. Je vois des gens. Je compte, un, deux, trois… quatre… Trois avec des blouses blanches et un autre en costume cravate. Mais pas ma mère.
..Qu'est-ce je fais ici ? Qu'est-ce qui m'est arrivé ? Je me souviens d'un choc, dans la cour de récré. On jouait aux autos tamponneuses, je me suis pris un coup de poing dans la fiole, boum…
..– Qu'est-ce je fais ici ?
..– Vous êtes à l’hôpital, monsieur le président.
..– Comment allez-vous, monsieur le président ?
..– Hein ? Quoi ? Président ?… Président de qui, de quoi ? Du rallye de Neu-Neuille ?
..Les gens rient sauf le type en costard.
..– Vous plaisantez, monsieur le président ?
..Je les laisse mariner trois ou quatre secondes. Le temps de reprendre mes esprits.
..– Je plaisante, naturellement.
..Le médecin de l’Elysée, le général Machin, chef de service, le chirurgien, l’infirmière. L'homme en costard c’est Guéant. Il me suit partout. Comme Monsieur Jupiter. Tiens, où il est passé, celui-là ? Il doit attendre dans la salle de repos VIP. Tout le temps dans mes pattes, j'ai l'impression qu'on est mariés ensemble, ça me fatigue.
..– 54% des voix, rigole le chirurgien, ça détend l'atmosphère. Bon, pas de souci. L'opération s'est très bien passée.
..– 100% de réussite, ajoute l'infirmière.
..Cheveux courts, joues rebondies, mignonne, fringante, racée, Arabe arabica. Me fait un peu penser à Rachida.
..– C'est très agréable de se réveiller entre les mains d'une aussi charmante personne, mademoiselle. Vous travaillez ici depuis longtemps ?
..– Lieutenant Fatiha Benjeloul. J'ai rejoint l'hôpital d'Instruction des Armées il y a deux ans, monsieur le président. Mon père était un harki. Mort pour la France !
..Elle se dresse sur ses talons et opère un magnifique salut militaire. On a beau être à l'hôpital des Armées et être le chef de l’État, ça fait bizarre. Qu’est-ce que je fais, là… je lui adresse mes condoléances ? Pas terrible comme idée. Faut que je trouve une petite douceur.
..– Allons, allons, pas de ça entre nous… C’est magnifique ce que vous faites, vraiment ! Faudra qu’j’vous présente à Rama Yade, elle vous plaira. Vous voulez le fond de ma pensée, Fatiha ? Comment la France a abandonné les harkis, c’était un crime de guerre…
..Ma remarque lui va droit au cœur. Si elle savait à quel point j’en ai rien à foutre que son père se soit fait casser la gueule pour l’Algérie française, la petite… Y en marre de la repentance, à la fin… Et pourquoi la petite Rama lui plairait ? Parce qu'elles viennent toutes les deux des colonies ? Cette conne n'est pas dupe mais fait semblant de mouiller sa culotte parce que je suis le président.
..Le secrétaire général de l'Elysée se racle la gorge en desserrant sa cravate, pourquoi il fait toujours chaud dans les hôpitaux, c'est un monde, ça !
..– Vous vous remettez, monsieur le président ?
..– Ah, Guéant… quel plaisir de vous revoir !… Ça va, mon p’tit Claude ? Pas de problème pendant mon absence ?
..– Pas de problème, monsieur le président. La presse n'est pas au courant… pour vos opérations.
..– Il ne manquerait plus que ça… Euh… vous avez bien dit "vos" opérations ?
..– Nous en avons profité pour vous enlever le phlegmon à la gorge, explique le chirurgien. Staphylocoque doré. Sans gravité. C’est éradiqué, vous serez tranquille.
..– Ah bon, j’avais aut’e chose ?
..– Vous… on ne vous… On ne vous a pas…
..– Je plaisante, docteur… Bien entendu que je suis au courant. Bon. Je suppose que Louvrier vous a briefé… Il ne faut surtout pas que cette opération arrive aux oreilles des médias, ce serait dramatique.
..– Pas même le phlegmon ?
..– Si on parle du bidule on va parler du reste… Vous savez comment sont les journalistes. Toujours prêts à faire leurs petites saloperies dès qu’on a le dos tourné… On ne me laisse rien passer, vous savez… Quand je pense que Mitterrand savait déjà qu'il avait le cancer en 81, c'est un comble !
..– Toutes les mesures ont été prises pour qu’il n’y ait aucune fuite, je puis vous l’assurer, monsieur le président.
..Guéant m'a l'air dans ses petits souliers, ça ne lui ressemble pas. Lui d’habitude si olympien. Peut-être qu'il se fait du souci pour moi, tout simplement..
..– Le personnel du Val-de-Grâce est irréprochable, vous le savez, ajoute le général Machin. Vous avez été hospitalisé sous le nom de Jean Gouault… c'est le nom de mon beau-frère.
..– Très bien. Très très bien. Vous, au moins, les militaires… Écoutez… Vous savez c’qu’on va faire ? Vous n'avez qu'à mettre le phlegmon de côté, comme ça s'il y a une fuite ça leur fera du grain à moudre à ces connards… C’est agréable de se réveiller, tout de même… Surtout en présence d'une aussi jolie femme… Vous finissez votre service à quelle heure, mademoiselle ?
..– Monsieur le président !…
..Je la fais rire. Je les fais rire. J'aime quand on rit autour de moi. On n’est pas assez heureux, en France, ça ne peut plus durer. J'ai tellement entendu de cris de haine depuis que je suis élu, ça fait du bien, j’vous jure.
..– Je vous taquine… Faudra quand même que je vous présente la petite Rama. Rachida, je suis pas sûr que ce soit son truc, les hôpitaux militaires. Bon. Vous me lâchez quand ? J'ai du travail, moi…
..– Nous attendons le résultat des analyses… pour le… enfin, pour les… Ce n'est pas une opération tout à fait anodine… Si tout va bien, d'ici vingt-quatre heures on vous renvoie dans vos foyers…
Ce connard sait très bien que je viens de divorcer. Se méfier de ce genre de type.
– Comment vous vous appelez, déjà ?
..– Lieutenant-colonel Jean-François Platet-Müller, chirurgien-chef de l’hôpital d’Instruction des Armées. A vos ordres, monsieur le président !
..– Très bien. Bon, de toute façon, je m’envole pour le Maroc demain matin, j’peux pas annuler au dernier moment, ce s’rait pas correct vis-à-vis du roi.
..– J’aurais préféré vous garder encore un peu, mais si vous…
..– Je m’sens frais comme un gardon, allons ! Vous avez fait du joli travail, professeur. Bravo ! Vous me le mettez au chaud pour la Légion d’honneur, Claude.
..Guéant hoche la tête, brave soldat.
..– Je n'ai fait que mon devoir, monsieur le président.
..– Allons, allons, vous n’allez pas cracher sur la Légion !!
..– Certes non, monsieur le président.
..– A la bonne heure !
..– Je vous remercie infiniment. Ce fut un honneur de vous opérer, monsieur Sarkozy.
Ça lui arracherait la gueule de m'appeler "Monsieur le président", comme tout le monde ! J'aime pas les types qui m'appellent Sarkozy. Platet-Müller. A surveiller de près. On ne sait jamais.
Juste avant de quitter la pièce, le chirurgien ajoute une petite phrase qui change la donne du tout au tout.
..– Je suis devenu médecin grâce à mon grand-père qui l’était aussi. C’était un ami du docteur Mallah, votre grand-père.
..– Non, pas possible! Quelle coïncidence !
..Un portable qui sonne. C'est le mien. J'avais oublié ce truc. On ne l'avait pas débranché ? Mon portable dans la main de Guéant.
..– Vous pouvez prendre, Claude ?… Alors ça, c'est incroyable ! Dites-moi, Claude, vous pourriez pas organiser un dîner avec le médecin-chef à l’Elysée d'ici quelque temps ?
..– Pas de souci, monsieur le président. Euh, c’est Jean…
..– Ah, Jean… Mon petit sucre d’orge ! Vous pouvez lui dire que je le rappelle tout à l'heure, Claude ? Vous appellerez ma mère aussi, vous voulez bien, ça la rassurera… J'aimerais bien me raser… si les autorités militaro-médicales m'y autorisent, bien entendu…
..– Je fais appeler le barbier de l'hôpital, monsieur le président.
..– Ah bon, il y a un barbier au Val-de-Grâce ?
..– Tout est prévu, monsieur le président.
..Décidément, les militaires me surprendront toujours. Je ne sais pas si je pourrai un jour m'habituer à cette engeance.
..– A propos de barbe… vous voulez que je vous en raconte une bien bonne ?… Vous savez que quand j'étais môme, je rêvais d'arriver à l'âge où j'aurais de la barbe. Je voulais être barbu et président de la République… Je regardais les planches des présidents dans le petit Larousse. Les types avec les favoris, les redingotes, les monocles, l'air ronchon… Ça me bluffait complètement ! Comme c'était un vieux dico, il n'y avait ni Coty, ni Auriol, ni de Gaulle, alors moi, forcément, je croyais que pour être président de la République, il fallait obligatoirement porter la barbe ou la moustache, comme le maréchal Pétain, qui y était, lui… Qu'est-ce que vous en pensez, mademoiselle ?
..La petite Arabica hoche la tête en rougissant. Je crois que j'ai un ticket.
..– C'est une très belle histoire, monsieur le président !
..– Ne répétez pas à vos collègues que j'admirais la moustache du maréchal, ça ferait jaser ces connards de la Ligue des droits de l'homme !
..– Je suis une militaire, monsieur le président, vous pouvez dormir sur vos deux oreilles.
..J’aime quand on me parle comme ça.
..– Dites-moi, Fatiha, j’aimerais beaucoup que vous soyez des nôtres, pour le repas à l'Elysée, avec le docteur Platet-Gruber.
..Elle accepte en rougissant. Je me demande si c'est par timidité ou parce que Guéant l'effraie. Guéant fait peur aux gens, je sais pas comment le lui dire. Celui-ci me fournit aussitôt la réponse.
..– Vous vous êtes trompé, monsieur le président. Ce n’est pas Platet-Gruber, mais Müller. Gruber, c'était le nom du médecin de Mitterrand.
..La petite Fatiha ne peut s’empêcher de rigoler. C’est contagieux. Je lève les yeux au ciel. Ils sont tous pliés.
..– Zut, alors ! J'espère que le Sphinx n’en prendra pas ombrage, là-haut !
..– Et que ça ne vous portera pas malheur, monsieur le président.
..Je croise le regard chagrin de l'infirmière. Je l’attrape par le bout de la blouse.
..– Qu'est-ce que vous dites, mademoiselle ?
..– Euh, je n'ai rien dit, monsieur le président.
..Elle ne l’a peut-être pas dit, mais elle l'a pensé, je l'ai lu dans ses yeux.
..Moi aussi je lève les yeux au ciel. Ce ne serait pas un luxe de repeindre le plafond.
Il était grand temps que j'arrive pour remettre un peu d'ordre dans ce vieux pays miné par la chienlit, vous ne trouvez pas, mon Général ?
***
..Cinq minutes plus tard, ils avaient tous quitté la pièce, me laissant seul avec le secrétaire général.
..– Que fait-on pour demain? il me demande.
..– Demain ? Ben, on part au Maroc, me dites pas qu’vous avez annulé…
..– Je ne voulais pas parler du Maroc, monsieur le président. Demain c’est le 22 octobre. C’est le jour de la lecture de la Guy Môquet… Il y a un rassemblement au métro Guy-Môquet, d'après les RG, il… Madame la ministre de l’Intérieur refuse catégoriquement de descendre dans la fosse aux lions…
..– M’étonne pas de cette conne ! Quel courage !
..– On pourrait envoyer Albanel…
..– Pitié, pas elle ! Dites-moi, Claude, on a vraiment besoin d’envoyer un ministre ?
..– Vous avez raison, un subalterne fera très bien l’affaire. Que diriez-vous du sous-préfet d’Ile-de-France ?
..– Très bien, le sous-préfet ! Il doit un peu s’emmerder, ça lui fera une petite sortie. Maintenant, si vous voulez bien me laisser seul quelques instants, Claude… J’ai besoin d'être seul.
..– Oh, bien sûr, monsieur le président… Je vous appelle ce soir.
..J'avais surtout envie de chialer, ouais. J'ai envoyé un SMS à mon ex-femme, en la suppliant de venir me voir. Dans l’heure qui suivit elle était à mon chevet.
***
22 octobre 2007, 18 heures
..– Alors, Claude, comment ça s’est passé, cette petite manifestation ?
..– Mal, monsieur le président. La foule criait… "Sarko facho".
..– C’est pas la première fois, et ce sera pas la dernière…
..– Le problème, c'est que le sous-préfet s’en est pris à une manifestante, une mère de famille colombienne qui accompagnait sa fille, je ne sais pas ce qui lui est passé par la tête… La police l’a embarquée au poste, ces imbéciles l’ont un peu bousculée, elle avait les traits asiatiques…
..– Et c'est pour ça que cet imbécile de sous-préfet s’en est pris à elle ?
..– Il ne semble pas avoir inventé la poudre, mais ça m’étonnerait, tout de même.
..– Elle a des papiers ?
..– Elle est française, monsieur le président… La préfecture se demande ce qu'elle doit faire.
..– Qu’ils la relâchent, bordel !
..– Elle l'est déjà, monsieur le président. Le problème n'est pas là…
..– Où il est, alors, le problème ?
..– Le sous-préfet prétend qu'elle a crié "vous êtes un facho".
..– Et alors ?
..– C’est un outrage caractérisé, monsieur le président.
..– Rappelez-moi le nom de cet imbécile, déjà…
..– Lacave, Frédéric Lacave. Quant à la dame, c’est une certaine… Maria Vuillet… Vous pensez qu'il devrait porter plainte ?
..– Ça pourrait faire un exemple… Voyez ça avec Ouart. S’il y a matière à poursuites, il tranchera.
..– Vous ne pourriez pas en toucher deux mots à Madame le garde des Sceaux, monsieur le président ? Elle dîne avec vous ce soir, si je ne m’abuse.
..– Je vais pas gonfler Rachida avec ça, mon vieux. Voyez ça avec le conseiller… Bon, je vous laisse, je suis attendu par Mohammed VI.