Heiligendamm, sommet du G 8 - 7 juin 2007
...Monsieur le président, ça va être à vous!
...L’officier de sécurité me fait signe d’avancer en indiquant sa montre, je le suis dans le couloir qui mène à la salle de conférence.
...Ça va aller, monsieur le président ?
...Ça va, je suis pas sourd… Pourquoi il me dit ça? J’ai l’air si mal en point? Je m’en sors par une pirouette mais dans mon for intérieur je n’en mène pas large. J’aurais pas dû accepter de boire de la vodka, j’ai pas l’habitude. J’ai accepté par forfanterie. J’ai bien senti qu’il me testait. Bon, quand faut y aller, faut y aller. L’homme à la mallette Jupiter s’impatiente. Allons-y, Alonso… J’ai laissé un message à Dadu, j’aurais bien aimé lui parler avant d’entrer dans l’arène. Tant pis. J’aime pas cette solitude. Ce type a un regard d’acier, il fout la trouille. Bon sang, ça fait longtemps que je m’étais pas senti aussi mal…
...Ça va bien se passer, ne vous inquiétez pas, monsieur le président. De toute façon, ces points de presse sont purement formels, alors…
...Purement formels! Je voudrais t’y voir, moi! C’est mon premier G8, j’ai pas intérêt à me planter. Tu as le trac, mon fils, c’est humain. C’est ça qu’elle m’aurait dit, Dadu. Il faut que tu sois fort, maintenant que tu es président…
...– Tu ne bois pas?
...Poutine me fixe droit dans les yeux, inflexible. Si je refuse je sens que ça va mal finir. Je plonge mes lèvres dans le verre de vodka qu’il vient de me tendre. Il sourit. Il ne lui a pas échappé que j’avais juste humé…
...– Laisse-moi te dire une chose, Nicolas Sarkozy… Le plus dur n’est pas de garder le pouvoir, mais d’y accéder… Regarde, moi, je me fais nommer Premier ministre et je mets Medvedev au Kremlin. Pourquoi se compliquer la vie? Vous, les Occidentaux, vous adorez vous compliquer la vie! Bois, je te dis. Ça va te détendre. On a fait le tour des questions d’actualité, on peut bien se relâcher un peu, non?…
...– Euh… je ne bois jamais d’alcool, Vladimir. Je ne sais pas si…
...– Adolf Hitler non plus ne buvait pas d’alcool… à part du champagne… Tu vois où ça l’a mené? Allez!
...Je ris jaune. Et je trinque.
...– Je suis bien d’accord avec toi, Vladimir Poutine. J’ai mis du temps à accéder au pouvoir, mais maintenant c’est parti. Les Français vont en avoir pour leur argent, je vais les gaver comme des oies, ils n’auront pas le temps de se retourner… C’est ma stratégie…Mindenhol vagyok.
...– Mindenhol vagyok?
...La traductrice me fait répéter. Comme c’est du hongrois je lui traduis en français. Poutine apprécie tellement la formule qu’il la note sur un calepin en hochant doctement la tête. Wouaw, le stylo… la classe!Il te plaît, mon stylo? Il est à toi, Nicolaï Sarkozitch!! Elstine, c’est ça qu’il aurait dit, mais lui… Pas un mot. Un robot.
...– Mindenhol… vagyok. Da… da. J’aime ta force de conviction. J’aime ton ambition, Nicolas Sarkozy.
...– Merci pour le compliment, Vladimir Poutine… Pour garder le pouvoir, j’ai deux règles: être ignoble avec les faibles et servile avec les puissants, il n’y a pas d’autre solution, crois-moi. Tu sais qui m’a donné cette idée, Vladimir?
...– Niet. Jacques Chirac?
...Ça, pas besoin de la traductrice pour comprendre.
...– Tu vas rire… C’est Louis de Funès, dans le film Le grand restaurant. Dadu… c’est comme ça qu’on surnomme ma maman… un jour elle m’a dit que je lui faisais penser à Louis de Funès… Elle pouvait pas m’faire plus plaisir étant donné que je vénère cet acteur…
...Et toc, une petite grimace à Poutine. J’ai eu du mal à le dérider mais j’y suis parvenu. Il éclate de rire, sans desserrer les dents. Je suis content d’avoir fait mouche avec ma petite imitation, à peine vingt secondes après lui avoir vendu ma petite théorie de l’espace vital.
...Il choque son verre de vodka contre le mien.
...– Nazdrovie. Comment on dit chez vous?
...– A la tienne, Etienne! Tchin-tchin, monsieur le président! A la santé de la France qui se lève tôt et de la Russie éternelle…
...– A la Russie éternelle qui se saoule tôt! Nazdrovie! A propos, Nicolas Sarkozy, sais-tu pourquoi Hitler ne buvait que du champagne Bollinger?
...Je croise le sourire contrit de la traductrice.
...– Hitler était obsédé par les attentats, et les bouteilles de champagne Bollinger étaient les seules dont le cul était plat. On ne pouvait donc pas y dissimuler de bombe… Mindenhol… vagyok!
...J’aimerais bien qu’il arrête son cirque avec Hitler mais je rigole. Poutine en profite pour me servir un second verre, je peux pas dire non. J’ai la tête qui tourne, ça me rappelle la cuite chez le type qui me faisait réviser mon français l’année où j’ai repiqué ma sixième… C’était un copain de Desprez, le protal de Saint-Louis, comment il s’appelait, déjà? Faudra que je demande à Dadu… On avait liquidé une bouteille de porto avec lui et sa femme, je sais pas c’qui lui avait pris… il était déchaîné… j’avais vomi, j’me suis bien juré de plus jamais recommencer… Noble ami de Monceau, c’est grâce à toi que je ne bois jamais d’alcool! Je pense à toi, parfois, tu dois être vieux, à présent…
...Vladimir Poutine marmonne quelques mots en russe. La traductrice hésite à officier. Il lui donne le feu vert d’un signe discret de la tête.
...– Le président… dit que vous avez le regard chargé de mélancolie…
...Je déteste la façon dont il a prononcé ces mots. Je ne sais pas s’il s’est rendu compte qu’il avait fait mouche.
...– Il faudra que tu passes me voir dans ma datcha, Nicolas Sarkozy. Tu viens avec ton épouse, je te ferai spécialités culinaires KGB!
...Poutine se marre comme une baleine, faut le voir pour le croire.
...C’est sur cette proposition insolite que nous avons pris congé.
***
...L’officier de sécurité était nerveux. J’avais besoin de m’isoler quelques minutes, alors je lui ai dit qu’il fallait que j’aille à l’endroit où même les rois vont à pied. Il n’avait pas l’air de comprendre. Ces militaires…
...– Le petit coin! Coin-coin… Voilà ce qui arrive quand on boit des canards avec l’empereur de Russie.
...Ça ne le faisait pas rire. Je me ferai jamais aux militaires. Il m’a accompagné jusqu’aux waters, j’ai bien cru qu’il allait me tenir la porte.
...Je me suis soulagé, en fermant les yeux. Ça chavirait dans ma tête. J’avais mal à l’estomac. J’ai fermé les yeux en serrant très fort ma bite. Quand j’étais môme j’aimais bien toucher ma quéquette à travers le survêt’ en marchant. Le seul à qui j’ai osé en parler c’est Bigard, il a pris un air consterné, il a dit «Oh, le sketche ! C’est pour ça que t’aimes autant le jogging, mon salaud!…» Qu’est-ce que je me marre avec Jean-Marie! Je vais l’emmener avec moi au Vatican cet automne, je me ferai moins chier… Bon, c’est bien joli tout ça… faut pas que je me précipite sinon je sens que je vais tourner de l’œil, ça la ficherait mal pour mon premier sommet. Piiiinaiiize! Il se passe de drôles de trucs, Marge!… J’ai la tête qui tourne!
...Un petit sketche avec Homer Simpson, rien de tel pour se détendre.
...Je ferme les yeux. Très fort. Des lucioles de toutes les couleurs dansent dans la nuit, quand j’étais petit j’aimais bien marcher comme un aveugle, en me tenant la quéquette comme si c’était une boussole. Je ferme les yeux, je marche jusqu’à ce que je rencontre un obstacle. Même pas peur…
...Je marche dans les rues d’un village. Il fait sombre, la nuit est en train de tomber, j’ai pas envie de traîner. Je commence à courir, et patatrac, je me casse la figure. Je me relève. J’ai mal au coude. La manche de ma chemise est déchirée, j’ai les mains pleines de boue, les rues de ce village ne sont pas propres, j’aime pas ça, c’est plein de boue partout. La boue, c’est sale, ça colle, ça tache, ça pue. Je sais de quoi je parle, avec le nom que je porte. C’est papa qui m’a dit ça, une fois… La vache, qu’est-ce que j’ai mal au ventre… Une des rares fois où il a pris le temps de s’intéresser à moi, c’était pour me dire ça… Le salaud! Remarque, dans un sens, c’est à cause de cette petite phrase que je suis devenu président, je lui suis au moins redevable de ça… Je sais plus quel est le connard de psy qui a dit ça un jour, je crois que c’est ce trouduc de Winter, mais il avait pas tort… Comment il avait tourné ça, déjà, papa? Ton nom est lourd à porter, mon fils. Et moi, du haut de mes sept ans… Ah bon? Pourquoi tu dis ça, papa? Il avait pris un air conspirateur et m’avait expliqué en m’offrant des bonbons, la Pie qui chante, je me rappelle comme si c’était hier… la seule fois où il m’a emmené au cinéma, je sais pas ce qui lui avait pris… Le grand restaurant, sur les Champs, on s’était bien poilés, surtout quand de Funès imite Hitler… Bon, ça va pour aujourd'hui, Adolf… Après, on était allés à la pizzeria place Wagram… Et pour une fois, au lieu de draguer les minettes en roulant les «r» comme un prince des Carpathes, il s’est un peu occupé de moi.Sàrközy. Sàr : la boue. Közy : entre. Mon fils, tu es né d’entre les boues, ce sont de drôles de particules que je t’ai laissées là… Le salaud! Dire ça à un môme… ENTRE LES BOUES. J’arrivais pas à comprendre. J’ai jamais compris. J’ai mal au ventre, à la tête… J’ai mal partout. Je déteste ce nom. Envie de vomir. Entre les boues…C’est toujours comme ça quand je suis en voiture. On a bien joué avec Poupette, la poule voulait plus redescendre du cèdre du Liban, qu’est-ce qu’on s’est marrés! – C’est bien fait pour toi, ça t’apprendra, t’avais qu’à pas t’empiffrer de gâteaux, gros porc. – Gros porc toi-même, tu vas voir ta tête, Guillaume, si tu crois qu’tu m’fais peur! – Maman, Nicolas me donne des coups de pied ! – C’est très vilain de rapporter, Guillaume ! Et toi, Nicolas, laisse un peu de bonbons à tes frères, partage… Non, mais vous allez bientôt vous calmer, à la fin!! Tu as fini de gigoter, Nicolas!…
...– Monsieur le président? Tout va bien?
...– Hein ? Oui, j’arrive…
...– Vous êtes en retard, ils vous attendent.
...Commence à me gaver, le gardien de Jupiter… Même pas peur. Hein, maman, que j’ai pas peur?!
...– Vous m’avez parlé, monsieur le président?
...Non, rien, je parle à ma bite…
...Vite, je remballe Popaul. La bite du président, j’en connais qui donneraient cher pour la sucer! Un vrai lâcher de salopes, comme il dit Jean-Marie… Putain, les mecs, je suis président de la République, j’en reviens pas! Je rouvre les yeux, doucement. Wouh… J’ai pas bonne mine, moi! Plus que cinq ans à tirer… Faut que je fasse un discours, on peut pas y couper. Ils attendent. Je suis l’officier de sécurité dans le couloir, la vodka fait pas bon ménage avec les amphètes, je titube un peu, la vache. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir leur raconter! Debout, Nicolas. Lève-toi… Elève-toi d’entre les boues. Envole-toi… Imagine que tu es un oiseau… T’entends ça, le paternel? Président de la République, l’étage au-dessus c’est Dieu, je peux pas mieux faire… J’aurais préféré que tu sois président des Etats-Unis, mon fils… Le jour où il m’a glissé ça à l’oreille je l’aurais tué… Combien de fois j'ai eu envie de l'étrangler, je préfère pas compter.
...Mais pourquoi j’ai repris de la vodka, bordel!
...Tout ça, c’est à cause d’Hitler…
...Putain, ils sont nombreux, là-dedans. J’ai l’impression d’être au cirque. Va savoir pourquoi, je pense à Jacques Martin. Ma bite me fait mal. Tu peux pas me faire ça, Cécilia!
...Bonjour les enfants… Vous allez bien?
...OUUUUUIIIIIIII!
...Vous êtes sûrs que vous allez bien, les enfants?
...OUUUUUIIIIII!
...Vous avez envie de chanter une petite chanson?
...OUUUUUIIIII!
...Oh putain! Faut que je me reprenne.
...Je tripote les micros. Un truc de Chirac. Le vieux lion m’a enseigné quelques bons trucs, quand même.Soigne ta droite, Sarkozy, sois naturel. Arrache-toi les tripes. Donne des coups de poing dans ta peur. Pense à Nice. Souviens-toi comment tu les as tous niqués…Palper le micro, montrer du doigt au loin un truc imaginaire en prenant un air inspiré de vieux sage, répondre systématiquement à une question par une autre question pour déstabiliser ces blaireaux de journalistes… Non, ça, c’est Pasqua… Ecoute-moi bien, Sarkozy… Tu prends ton air le plus offusqué, tu fixes le guignol droit dans les yeux comme s’il venait d’insulter ta mère, et là, t’as plus qu’à le cueillir, je te le garantis.Sauf que là… je sais vraiment pas quoi leur dire… Qu’est-ce qu’il dirait, Poutine? Alors lui, il lâche rien, il va droit au but. Buter les terroristes jusque dans les chiottes. Il a pas besoin de Monsieur Jupiter pour lâcher ses petites bombes… Quand même, j’ai pas du tout apprécié sa dernière petite phrase… Sans parler de ses blagues sur Hitler… Il me cherche ou quoi?
...Je tacle le micro. Ça marche. Une panne m’aurait bien arrangé. Y a pas de bonbons? Ou des pastilles Rennie? J’ai tellement mal à l’estomac… On pourrait pas baisser les lumières, ça éblouit… Bon, c’est pas le moment de se planter.
...– Bon… jour.
...J’aime pas cette petite voix mielleuse que je prends quand j'arrive dans la conversation, les années de coaching n’y peuvent rien, j’ai besoin de quelques secondes d’acclimatation. Pour me désinhiber. M’imbiber du truc. Personne ne répond. Où il est passé, le chœur des enfants? C’est quand même un monde, ça! Le président de la République française élu au suffrage universel avec 54% des voix dit bonjour et personne ne lui répond ! C’est ça, l’Europe? C’est ça, le concert des Nations? Eh ben dites donc, ça promet… Va falloir que ça change… Bon. Pas de panique. J’écarte les mains, j’ai mal à l’estomac, je bande comme un cerf. Qu’est-ce qu’il a de plus que moi, ce type, Cécilia… Je vais m’en tirer, Maman, t’inquiète… Je suis le président de la République, personne ne peut rien contre moi…
...Ils attendent.
...Je colle mes mains au pupitre, j’ai le dos inondé de sueur, je déteste ça. Je ne sais pas quoi dire, je m'enfilerais bien une petite dose. Je lâche dans un murmure:
– Mesdames et messieurs, je vous demande de bien vouloir excuser mon retard… qui est dû à la longueur du dialogue… que je viens d’avoir avec monsieur Poutine… Qu’est-ce que vous préférez?… Que je réponde aux questions?… Alors… Y a-t-il des questions? Allez-y, mouais, ouais, ben, ouais…
...Si je continue à me mélanger les pinceaux comme ça, je suis foutu. J’ai honte.
...Je pense à Chirac. Je pense à Nice. Putain, ce triomphe! Je pense à Ségonuche. Je pense à Dadu. Je pense à lui… Commence à me gonfler, Henri, avec ses théories fumeuses sur la paternité… Mais bon, il a peut-être pas tort, on se ressemble, tous les deux… Je pense àelle. Je sais qu’elle m’a déjà quitté. C’est plié. J’ai peur. L’impression d’être un môme. Un de ces jours je vais lui mettre un gauche à Guillaume il va comprendre sa douleur. Ça fait trop longtemps qu'il me cherche. Je m’en fous. Je suis le président de la République, je suis le roi.
...Et je te dis merde.
...Alors je me mets sur la pointe des pieds, je serre bien fort le pupitre, je sens la chaleur qui monte, ma vue se brouille, je pense à Cécilia, j'ai la trique, faut arrêter ça, je prends mon élan, je pense à Fufu avec la mèche à Adolf dans la scène du Grand restaurant, Guigui qui faisait la tronche quant tu l'imitais, même Dadu ça la faisait rire, alors… je me marre, et là, c’est comme un miracle, comme un oiseau je m’envole, Mindenhol vagyok, il ne peut plus rien m’arriver.
...Bon, on y va… Qui pose la première question?… Madame?…
A SUIVRE…